Les prix de l’électricité et du gaz sont très interdépendants. Il est toutefois possible de casser cette corrélation, explique Nicolas Goldberg, responsable énergie de Terra Nova.
Nicolas Goldberg est responsable du pôle énergie de Terra Nova. Avec Antoine Guillou, ingénieur et économiste de l’énergie et adjoint (Parti socialiste) à la mairie de Paris, il a publié le rapport « Décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz : mission impossible ? » le 16 janvier dernier.
Reporterre — Les prix de l’électricité et du gaz ont baissé ces derniers mois après le pic atteint l’été dernier, mais restent à des niveaux historiquement élevés. Pourquoi ont-ils tant augmenté et sont-ils si étroitement corrélés ?
Nicolas Goldberg — Il faut distinguer le prix de l’électricité sur le marché de gros européen et le prix de détail, qui est le tarif que vous, moi, le boulanger et l’industriel voyons inscrit sur nos factures.
L’électricité ne se stocke pas ; l’offre et la demande doivent donc s’équilibrer en permanence sur le réseau. Sur le marché de gros, le prix de l’électricité du jour pour le lendemain correspond au coût marginal de la dernière centrale appelée pour assurer cet équilibre. Très souvent, il s’agit d’une centrale à gaz, ou d’une centrale hydraulique, qui cale son prix sur celui du gaz. D’où cette corrélation entre prix du gaz et prix de l’électricité, même sur des périodes plus longues à cause des anticipations de ces prix du jour pour le lendemain.
C’est le cas aussi en France, où l’on dispose surtout de centrales nucléaires, mais où l’on utilise des centrales à gaz et importe de l’électricité produite à partir de gaz — notamment quand le parc nucléaire fonctionne mal — et où l’on dispose de plusieurs centrales hydrauliques à stock. Or, le prix du gaz a très fortement augmenté ces derniers mois, notamment à cause des tensions d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine.
Que préconisez vous pour décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz et éviter qu’une telle flambée du prix se reproduise ?
Actuellement, avec cette flambée des prix de l’énergie, le marché de gros européen nous envoie un double message de pénurie et de trop forte dépendance au gaz. L’électricité s’y achète et s’y vend au jour le jour à des prix fluctuants, sans signal prix ou incitation de long terme. Les producteurs d’électricité, qui ont besoin d’une visibilité sur au moins une dizaine d’années pour rentabiliser leurs installations, n’osent donc plus investir.
Pour redonner de la visibilité aux producteurs et aux investisseurs, nous (Antoine Guillou et Nicolas Goldberg) conseillons donc d’instaurer entre l’État et les producteurs un prix de l’électricité dans des « contrats pour différence ». Avec ce type de contrat, le producteur vend toujours sa production sur le marché de gros au prix de marché. Par contre, si le prix de marché est inférieur au prix convenu avec l’État, ce dernier lui verse la différence. À l’inverse, si les prix de marché sont plus élevés, le producteur reverse la différence à l’État. Une autre piste serait de simplifier les contrats de long terme entre les producteurs et l’État, les entreprises et collectivités locales.
En améliorant ainsi la visibilité à long terme des producteurs, on pourrait augmenter la production d’énergies décarbonées et réduire de ce fait la dépendance au gaz. Et donc limiter la corrélation entre prix du gaz et de l’électricité, car si cette corrélation est si forte, c’est sans doute que les centrales à gaz sont appelées trop souvent à la rescousse pour équilibrer le réseau.
L’autre levier sur lequel nous conseillons de jouer, c’est sur le lien entre prix de gros et prix de détail. Actuellement, les consommateurs sont trop exposés aux fluctuations sur le marché de gros. Des fournisseurs alternatifs vendent de l’électricité achetée sur le marché de gros sans être couverts, et augmentent fortement leurs tarifs, voire se mettent en faillite si les prix s’envolent. Au consommateur ensuite de se débrouiller pour retrouver un contrat de fourniture. Pour remédier à cette situation, nous proposons d’imposer des obligations prudentielles aux fournisseurs, des contrats de long terme avec des producteurs d’électricité par exemple. Mais il faudrait pour cela une bifurcation idéologique de la Commission européenne, car c’est elle qui a souhaité que les prix de gros soient répercutés sur les prix de détail.
En France, des syndicats de grandes entreprises énergétiques et des partis politiques, notamment La France insoumise, plaident pour une sortie du marché européen de l’électricité et le retour au monopole. Qu’en pensez-vous ?
Qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le marché de gros européen fonctionne très bien pour optimiser le réseau à moindre coût à chaque instant.
Par ailleurs, le monopole ne permettrait pas de résoudre la question des investissements dans de nouveaux moyens de production. Il est en effet très difficile pour le politique d’annoncer une hausse du prix de l’électricité pour financer de nouveaux moyens de production. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter les auditions de l’ancien PDG d’EDF Pierre Gadonneix à l’Assemblée nationale : sa demande d’augmentation du 40 % du prix du nucléaire pour financer des investissements dans le parc lui a coûté son mandat. Et la hausse de 4 % du tarif régulé de l’électricité en 2022, annoncée par le gouvernement pour février 2022, a suscité des grognements de toutes parts.
Enfin, nous assumons un marché hybride pour dynamiser le secteur. Dans un modèle centralisé, il n’y aurait pas d’Enercoop ! À une époque, EDF n’était pas favorable au l’éolien et au solaire ; aujourd’hui, il fait du renouvelable même en France, mais ne possède que 15 % de la puissance éolienne et solaire installée, ce qui démontre l’intérêt des autres opérateurs. Par contre, il faudrait moins de fournisseurs éparpillés — il y a plus de quatre-vingts fournisseurs d’électricité aujourd’hui en France.
On peut aussi imaginer que des collectivités locales signent des contrats de long terme avec des producteurs, ce qui permettrait d’améliorer l’acceptabilité sociale de certains projets : pourquoi pas une éolienne si c’est pour chauffer la piscine municipale ?
Fin août, la présidente de la Commission européenne a déclaré préparer « une réforme structurelle » du marché européen de l’énergie pour éviter qu’une telle crise de l’énergie se reproduise. Elle devrait être présentée d’ici fin mars. Quelles sont les pistes étudiées ?
Pour l’instant, la Commission en est encore au stade de la concertation. Tous les États membres n’ont pas une position très claire. Mais la France et l’Espagne défendent des mesures proches des nôtres, avec des contrats pour différence et des contrats de long terme et des obligations prudentielles imposées aux fournisseurs d’électricité.
Des élections européennes se tiendront l’an prochain : il est donc probable que nous ayons une réforme de court terme, probablement avec les contrats pour différence, avant d’avoir une réforme de plus long terme sur le plan de la régulation après les prochaines élections.
Source : https://reporterre.net/Il-faut-dissocier-les-prix-de-l-electricite-de-ceux-du-gaz